PROBLÉMATIQUE/ OBJECTIFS PÉDAGOGIQUES:
Comment obtenir une cohérence plastique à partir d'éléments hétérogènes? ?
"Planisphère"
La cohérence est l’union complète entre divers éléments d’un corps. Au sens figuré on peut dire que la cohérence est un accord ou une harmonie, intuitive ou logique, d’un système d’idées entre elles.
Une oeuvre d’art d’une grande cohérence plastique est donc une oeuvre d’art qui dégage une harmonie intuitive ou logique entre les différents matériaux ou idées qui la constitue.
Références artistiques:
Brankiça Zilovic. Histoire de points / Histoire de cartes
Brankiça
Zilovic travaille à partir de matériaux issus de l’univers du textile,
lesquels donnent lieu, au moyen d’installations et de configurations
picturales, à des pièces mêlant biographie individuelle et collective.
Marquée par les paysages enneigés des Alpes dinariques de son enfance
aussi bien que par le contexte et l’histoire de la Serbie, elle coud,
tisse ou brode des compositions réticulaires qui prennent l’allure de
paysages mentaux.
Ses
travaux s’inscrivent ainsi à la croisée de considérations individuelles
et de préoccupations historiques voire politiques, à l’image de La Pangée,
composition murale figurant une mappemonde composée de fils blancs.
Certains de ces fils sont tendus et se ramifient en un réseau nerveux,
comme un système neuronal traversé par un nombre incalculable
d’impulsions électriques naviguant de synapse en synapse, ou comme une
toile d’araignée dont la trame parvient à transmettre de fines
vibrations, alertant sur l’imminence d’une proie. D’autres fils sont
suspendus, ils échouent laborieusement vers le sol et simulent une forme
de dépérissement, affirmant le caractère organique de l’ensemble, ainsi
que le confirme cette autre pièce cartographique, Peel Planisphere, dont les étoffes composites dépeignent des peaux mortes dissimulant une dégénérescence tant physiologique que psychologique.
Une
première lecture de ces deux œuvres viserait sans doute à signifier une
géopolitique en déliquescence, un monde soumis à une érosion
inévitable, cependant que le sentiment de perte se joue davantage en
profondeur qu’en surface. La Pangée et Peel Planisphere
arborent en effet un je-ne-sais-quoi qui relève du vivant,
sous-entendant l’intervention de forces transformatrices et invisibles.
De plus, les fils et les tissus organisent un tumulte visuel qui parait
se faire l’expression d’une âme embuée par les vicissitudes de
l’existence. Chaque point, ligne ou surface se dédouble continuellement,
reflétant des histoires sans début ni dénouement que l’on ressasse sans
arrêt. Le plan de l’œuvre agit alors telle une membrane, dissociant la
réalité que l’on parcourt de celle qui nous pénètre, pour qu’une
géographie personnelle puisse se substituer à une géographie politique,
affirmant ainsi une fragilité qui s’étend au-delà des apparences.
Paradoxalement,
cette cartographie, en ne menant nulle part ailleurs que dans les
méandres de la psyché, traduit non tant des territoires et des espaces
que des allusions temporelles, en particulier lorsque l’on s’attache à
leur mode de réalisation. *
En effet, la répétition, l’accumulation et le
labeur mettent en exergue une exigence quotidienne, sinon une
obsession ; le temps se dilate, il affiche une dimension expiatoire,
comme s’il s’agissait de conjurer les démons du passé en substituant à
la mémoire la mécanisation du geste. Les lourds récits d’antan peuvent
ainsi être dilués dans un absolu présent porté par la répétition à
outrance. Bien davantage, ces mêmes gestes laissent derrière eux une
trace graphique semblable à des sutures ou des cicatrices, peut-être
parce qu’il est question de raccommoder ce qui émane du passé
afin de rester amarré à la réalité. De même, étant donné que la mémoire
ne s’efface jamais complètement, il faut sans doute pour Brankiça la
canaliser, ou la filtrer, à l’image des Totems dont les livres
cousus, tout en convoquant la figure du père, se rapportent au motif de
la grille ou, mieux, au filet du pêcheur qui capture comme il laisse
s’écouler.
On
retrouve ainsi dans le travail de Brankiça une forme de nécessité
fondamentale. Le caractère obsessionnel accompagne le besoin de composer
avec une histoire personnelle, quand de surcroît, l’esthétique globale
qui en découle, portée par des teintes chaleureuses et abondantes,
semble témoigner d’une forme d’enjouement. Au regard de son caractère
transitoire, excessif et profondément hétérogène, on y perçoit sans
doute une présence dionysienne, ainsi que l’expriment ses sculptures
chamaniques réalisées à partir de mannequins. Ces personnages, hauts en
couleur, a l’allure énigmatique mais imposante, comme issus de contes
fantastiques, semblent porter les réminiscences d’une cosmogonie passée,
faisant le lien entre les règnes et les genres, entre les hommes et la
nature. Aussi, l’allusion au dieu grec semble loin d’être anodine dès
lors que le père de la comédie et de la tragédie, incarnation de
l’ivresse et de l’extase, renvoie à une sensibilité du monde ancrée dans
l’impermanence et le fugitif, le flux, mais aussi et surtout à l’oubli.
Or l’oubli, la perte, ou la dégénérescence, moteurs du travail de
Brankiça, ne sont rien de moins que des appels à de nouveaux
recommencements. De là la nécessité de saisir ses compositions comme
l’expression d’une forme d’optimisme, un optimisme qui resterait latent,
paradoxal peut-être, un optimisme qui accueillerait la vie et ses
possibles plutôt que ses regrets.
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